PREMIERES CITATIONS SUR LA PHOTO

« Le photographe nous montre l’invisible, en l’habillant de réalité » (Jules PREVOT – 1928)

« Je ne photographie pas ce que je vois, je photographie ce que je pense » (Jules PREVOT après en avoir discuté avec Picasso)

Ces deux phrases sont complémentaires et guident mon travail photographique.

Tout d’abord une première remarque. Je ne parlerai pas de « la » photographie, car c’est pour moi une erreur totale sauf si on parle de technique de reproduction. Il ne viendrait à l’idée à personne de parler en même temps de Picasso et d’un peintre en bâtiment au prétexte qu’ils utilisent tous les deux de la peinture. En utilisant un procédé photographique, on peut faire des œuvres d’art, des photos souvenir, des selfies, de la description d’objets, etc… Vouloir englober tout cela dans un même concept me paraît absurde, je parlerai donc de mon travail photographique, de ce que j’aime faire.

Je ne porterai aucun jugement de valeur sur les différentes formes d’utilisation d’un appareil photo, ce n’est pas mon problème. Mes affirmations ne s’appliquent qu’à mon travail photographique même si à coté je me permets aussi de faire des photos souvenir de mes voyages qui n’ont pas toujours grand chose à voir.

Je ne vois pas l’intérêt de montrer en photo ce qui est, ce que tout le monde peut voir. Autant regarder l’original, ce sera toujours plus riche, plus complexe, plus intéressant que la reproduction et cela évitera de gâcher de l’énergie. J’aime montrer ce que je vois moi et que les autres ne vont pas forcément voir, ce qui est invisible.

L’invisible cela recouvre beaucoup de choses. L’invisible peut être lié au fait que je suis à un endroit, à un instant donné et qu’il s’y passe quelque chose qui ne se reproduira pas et que je donne à voir. L’invisible peut être aussi ce que je pense d’un sujet, d’une situation et que je veux partager à l’aide d’images.

Peut être qu’en regardant mes images, vous penserez parfois que je montre la réalité, rien que la réalité. C’est dans ce cas que nous ne nous sommes pas compris.

Illustrons ces propos avec mes photos de joutes. Je n’ai pas cherché à montrer ce que sont les joutes, ce qu’est la technique des joutes, à faire des souvenirs de ce qui s’est passé lors de telle ou telle journée, ce qui a bien sûr une utilité. J’ai voulu montrer ce que l’on ne voit pas et même à plusieurs titres.

Tout d’abord, étant dans la barque au pied des jouteurs, je vois en gros plan ce que seuls les jouteurs et les rameurs peuvent voir. Le spectateur qui est au bord du canal ne voit qu’un plan éloigné, ne peut saisir les détails de l’action, du visage.

De plus, les joutes sont mouvement et donc lorsque l’on regarde, on voit un mouvement. La photo fige un instantané, un regard, une position que l’on ne peut observer quand on voit le mouvement d’ensemble.

Enfin je montre ce que je pense des jouteurs, que ce sont des héros. Je n’ai pas voulu dire ce que sont les jouteurs, j’ai voulu dire que ce sont des héros. Ce n’est pas visible directement, donc j’ai photographié de façon à faire apparaître cet aspect là.Vous avez tout à fait le droit de contester cette affirmation, également de dire que ce n’est pas ce que vous voyez, cela ne change rien à ce que j’ai voulu montrer.

Je montre aussi ce que l’on ne peut ressentir qu’au contact direct des jouteurs, la force, l’intensité, le bruit. Un des plus beaux compliments que j’ai reçu, vient d’un ancien jouteur qui m’a dit: « quand je regarde vos photos, j’entends le bruit des joutes, le bruit de l’eau, le bruit des chocs »

Vous me direz que tout cela, on peut le montrer de plein de façons, par l’écriture, par la peinture… Moi je le fais avec des photos, parce que derrière la photo, il y a une idée bien ancrée dans le public, celle de la réalité. Malgré tout ce que l’on sait sur les montages et trucages photographiques, la photo est assimilée à la réalité, alors que d’autres modes de visualisation semblent plus tournés vers l’imaginaire. J’aime bien cette ambiguïté entre réalité et subjectivité, entre ce que je pense et l’objectivité.

Voilà pourquoi j’aime cette phrase de l’ami Jules. Quant à Picasso, j’ai vu cette phrase bien après avoir apprécié celle de Jules Prévot et je pense qu’elles vont dans le même sens, en tous cas elles se complètent bien.